C’est le printemps, la pluie descend du ciel en de larges rideaux, on distingue à peine la lisière du bois de l’autre côté de la route. C’est la fête à la grenouille, mais ce ne sera pas celle des escargots du secteur vu que ma tante de la ville nous emmène ramasser du gastéropode. « Allez, debout les gamins » qu’elle nous dit. On préférerait rester au sec et relire les exploits de Barbe-Rouge plutôt que de crapahuter sous le déluge pour cueillir des bestioles gluantes, mais bon, on n’a pas d’excuses valables à présenter, alors on est bien obligé de s’équiper. Bottes, ciré, sac en plastique et bâton, et nous voilà partis dans les flaques et l’herbe boueuse.
Heureusement, la tâche est moins ardue que la cueillette des champignons, on trouve des escargots à la pelle sans avoir à marcher des heures. Ils sont trop lents pour s’enfuir et l’herbe encore courte ne peut les cacher. Ce sont d’énormes spécimens, leurs coquilles marron luisent sous la pluie, ils glissent avec leurs antennes dressées qui bougent dans tous les sens. Quand on les saisit, ils rentrent instantanément leurs antennes et se rétractent au fond de leurs coquilles. Nous on se dépêche car l’eau commence à traverser et à couler dans notre dos, on les empile les uns sur les autres comme de vulgaires noix. Avec nos bâtons nous fouillons le bord de la route et les talus, il y en a tellement que parfois nous marchons dessus, nous entendons alors le bruit désagréable d’une carapace qui éclate.
En moins d’une heure on a rempli les sacs, on se dépêche alors de rentrer. Certains essayent de s’échapper en remontant les parois, ils n’iront pas loin.
Ma grand-mère est très heureuse, ça fera un plat de choix pour dimanche. C’est elle qui va les cuisiner, avec l’aide de ma tante. Nous on va se changer et se planter comme des légumes devant une série policière en attendant la soupe.
Dimanche, tout le monde est impatient de passer à table et vient admirer les coquilles qui dorent dans le four. Moi je n’en mangerai pas, ça me dégoûte. Les escargots sont l’événement du jour, les plats à gratin sortent en crépitant, le beurre grésille et l’odeur du persil grillé remplit la cuisine. Les adultes se jettent dessus comme sur un trésor et extraient la bête de son antre avec une baguette pointue. Ils boivent le jus huileux à même la coquille et la jettent une fois vidée sur le tas qui grossit à vue d’œil. Concassées, les carapaces iront enrichir le jardin et nourrir les salades, celles dont raffolent les escargots. Relégué comme d’habitude au bout de la table avec les gosses, je me contente d’un blanc de poulet avec de la purée pendant que l’orgie se poursuit jusqu’à la dernière coquille.
A la ferme, tout ce qui est comestible est mangé, même les escargots.