C’est moi qu’ils viendront chercher, un jour ou l’autre. N’importe où, ils me retrouveront.
Ils arrivent, je le sais, je les entends qui approchent. Je dois m’enfuir, mais vers où ?
La panique me gagne, autour de moi on s’en moque, ou on ne peut rien faire.
Je suis pris au piège. Seul dans cette vaste forêt, comment leur échapper ?
Qui sont-ils ?
Leur voiture grise s’est arrêtée dans la cour. Je suis déjà monté dans le grenier, en passant fébrilement d’un coin à un autre pour trouver la meilleure cachette, celle qui est indétectable, invisible.
De partout j’entends les sirènes et les jappements des loups, le quartier semble cerné.
Les portières claquent.
Je cours comme un fou dans les rues, avec l’impression qu’ils sont toujours sur mes talons. Parfois, je crois en voir un : policier, soldat ? Pas le temps de me poser la question, ils me traquent, ça me suffit, peu importe la couleur de leurs uniformes ou de leurs déguisements civils.
Les branches me griffent le visage. Ne pas tomber, ne pas ralentir, les prendre de vitesse.
Ils sont debout dans la cour de la ferme, les chiens et les canards aboient, des gens sortent de la maison pour voir de quoi il s’agit, pas moi, je me terre dans un trou sous les toits. D’autres tirent les rideaux pour pouvoir regarder tranquillement à travers. Moi je tremble sans bouger, pas besoin de voir, j’imagine très bien.
Ils sont quatre, l’un d’eux reste devant la voiture pour la garder et surveiller la cour. Sans un mot, les trois autres passent la porte encore tenue entrouverte par l’un des habitants devenus inquiets. Qui peut s’estimer certain d’être innocent ?
Essoufflé, je continue pourtant à courir, à sauter les haies et à franchir des portes. Certains passants sont un peu étonnés, la plupart s’en moquent ou s’enfuient apeurés. Je dois être un criminel, un paria, un terroriste ? Je ne sais pas, impossible de m’en souvenir.
Même en pleine forêt ils me retrouveront. Ils ont des chiens et des hélicoptères. Trouver un ruisseau, courir dans l’eau, disparaître sous une pierre ou dans un tronc creux. Les animaux aussi s’enfuient, ils ne savent pas que cette fois ce n’est pas pour eux que les molosses jappent frénétiquement.
Dans la cour, les canards se sont tus, à moins qu’un fermier ne leur ait tranché la tête ? Les chiens non, mais ils aboient moins fort, en restant à distance. Pour impressionner et montrer que c’est sérieux, le guetteur a sorti son arme. Pour ce qui me concerne, c’est inutile, je suis déjà terrorisé.
Les trois collègues ont investi la maison. L’un semble parlementer avec les habitants, tandis que les deux autres fouillent toutes les pièces depuis la cave. Je n’attendrai pas qu’ils arrivent au grenier, ils me trouveront, c’est sûr, je dois m’enfuir, il faut essayer.
Des gendarmes barrent le bout de la rue, pourtant il me semblait avoir semé tout le monde. Des passants zélés ont dû jouer les « personnes de confiance ». Sécurité avant tout, les criminels et les gens louches ne doivent pas battre la campagne librement.
Mon signalement a du être diffusé partout, il me semble que j’entends des voix qui me désignent depuis les étages, je ne vais pas aller jusqu’au barrage, je prends la première rue perpendiculaire, en affichant un air naturel et pas pressé. L’ennui, c’est que je comprends rapidement que c’est un cul-de-sac quand je vois le mur qui se dresse au fond.
Les pas résonnent au premier étage, c’est le moment ou jamais. Occupés qu’ils sont à retourner les meubles, ils ne m’entendront pas. Je marche doucement vers une lucarne qui donne sur l’arrière de la maison. Heureusement, il y a toujours des cordes qui traînent dans le fatras et la poussière. Une fois la corde attachée à une poutre, pas pour me pendre, ça ils devront le faire eux-mêmes, j’ouvre sans hésiter le vasistas et je commence à descendre prudemment sur le toit. Je n’ai pas peur du vide, je suis concentré sur mes gestes, pas question de tomber, je ne leur ferai pas ce plaisir. Il me semble qu’ils s’affairent de l’autre côté de la baraque, profitons-en, ils ne risqueront pas de me voir par une fenêtre. J’ai rejoint le mur, sous le toit. Je serre tellement fort la corde que la peau de mes mains est à moitié arrachée. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils n’ont pas placé de guetteur de ce côté. Il y a des chances, ils sont si sûrs d’eux, et ils savent qu’il est difficile de s’enfuir de la ferme. Autour, c’est terrain plat et herbe pelée. A part quelques vieux arbres fruitiers, aucun moyen de se cacher. Je verrai bien une fois en bas. D’abord sortir de la maison, hors de ce piège. Pour l’instant, personne ne m’a remarqué, les autres ont dû se taire.
Ce n’est pas dans un ruisseau, mais dans un grand étang que je plonge épuisé. Sous l’eau, je n’entends plus les chiens surexcités. Je fais de l’apnée le plus longtemps possible, j’ai presque atteint l’autre rive. Je me dépêche de sortir de l’eau et de disparaître dans les buissons. Des canards s’écartent l’air offusqué. Il ne faut pas qu’ils me voient. Ils vont sûrement perdre ma trace, et le temps qu’ils traversent ou qu’ils contournent la pièce d’eau...
La corde est assez longue, plus que quelques mètres.
Quand j’approche du bout de la rue, mon coeur bat de plus en plus fort, ils vont me retrouver, je ne vois pas d’issues. J’essaye d’ouvrir les portes, elles ont toutes des codes, et personne ne semble vouloir sortir ou répondre. Je ne peux pas escalader le mur, il est trop haut. Il faut absolument que je trouve une cachette.
Je suis dans le jardin à moitié abandonné. Je pense d’abord me cacher dans le petit bâtiment de ferme, parmi les vaches et la volaille ou dans le foin. Mais, à supposer que j’arrive à traverser en longeant le muret, ils me retrouveront. Après la maison, ils fouilleront inévitablement les étables et le reste, surtout quand ils auront vu la corde. Pas le temps d’hésiter, je détale le plus vite possible dans les champs, avec l’espoir fou de me planquer dans la forêt au loin ou derrière un repli du terrain.
Je suis trempé, mais toujours libre. Le bruit des chiens s’estompe, je cours moins vite, de toute façon je n’en peux plus. Il faut continuer, retourner en ville, me fondre dans la masse, je dois trouver une voiture, à pied je n’y arriverai pas.
Les portes sont closes, mais pas les fenêtres, je crois sentir des regards qui m’épient, qui n’ont plus que ça à faire. Je me dissimule quand même dans un container poubelle.
Un coup de feu retentit. Je me crois mort et je plonge aussitôt dans la poussière, m’attendant à cracher du sang. Rien de plus. Je relève un peu la tête, je ne vois rien. Comme les chiens sont devenus silencieux, j’imagine qu’ils ont dû abattre l’un d’entre eux, à moins qu’il n’y ait eu quelqu’un d’autre dans les bâtiments ?
Je reprends ma course, plus oppressé encore par la peur que par l’essoufflement. Pas d’autres coups de feu. La forêt semble s’être rapprochée, à moins qu’il ne s’agisse d’un mirage.
Au bas d’un talus, je tombe sur une petite route. Il ne doit pas passer grand monde. En plus dans l’état où je suis : trempé, égratigné et les vêtements déchirés, personne ne s’arrêtera, à part la police. Je longe quand même la route, en restant à couvert, il faut bien essayer.
J’entends des bruits de pas dans la rue. Je ne peux rien voir, je retiens mon souffle, blottit dans la pénombre entre les sacs plastiques remplis d’emballages. Plus un bruit, les pas semblent s’être éloignés. Soudain, le couvercle s’ouvre, la lumière m’éblouit et j’aperçois le canon d’une arme braqué sur moi. Ils sont partout, mais je m’évaderai. J’ai déjà pu leur échapper plusieurs jours, la prochaine fois ils ne m’auront pas, je trouverai la bonne solution.
Miracle, j’atteins la lisière du bois ! A bout de nerf, je m’appuie derrière le premier arbre. Pourquoi s’en sont-ils pris à moi, je n’ai pourtant rien fait de mal ? Et les autres qui ne réagissent pas, qui laissent faire, qui ont laissé faire depuis trop longtemps, sans parler de tout ceux qui sont carrément avec les hommes en gris.
J’entends des cris au loin, ils viennent de la ferme. Ils sont remontés dans leur voiture. Peut-être vont-ils repartir ? Ils abandonnent, ou sont appelés pour une autre tâche obscure ? Hélas non, j’aperçois le nuage de poussière soulevé par la voiture, ils ont pris à travers champ et foncent droit vers la forêt, vers moi !
Je recule instinctivement dans l’ombre, la bouche ouverte. Moi qui croyais leur avoir échappé, ils n’arrêtent jamais ! Je dois continuer ma course, ils ont sûrement appelé des renforts, c’est toujours ce qu’ils font. Ils ont des chiens dressés qui sauront suivre mon odeur. Dans la panique, je retrouve une vitalité animale qui me fait courir de plus belle.
J’ai l’impression de marcher depuis des heures. La nuit commence à tomber, sans doute est-ce plus favorable. Une voiture en veilleuse approche, je me cache. Elle roule trop lentement pour être honnête. Elle passe devant moi et ses occupants m’ont tout l’air d’être des flics en civil ou des civils qui jouent les auxiliaires, ce qui revient au même. Ils scrutent les alentours avec trop d’attention. Les guetteurs finissent par s’éloigner, je peux continuer.
Après un lacet, j’aperçois peut-être mon salut : un petit camion est garé sur une aire de pique-nique. Ses deux occupants sont attablés vingt mètres plus loin à la lueur d’un camping gaz.
Caché par la carcasse et la pénombre, je me glisse près du véhicule. Quand je vois que l’arrière n’est pas fermé, je tente ma chance avant qu’ils aient terminé leur repas. Je me retrouve parmi du mobilier et des cartons. Sans doute sont-ils en train de déménager. Ils doivent quitter ce pays de fous avant d’être enrôlés pour de bon ou traqués comme moi.
Je les entends rire en se rapprochant du camion. Ils embarquent à l’avant et démarrent sans plus tarder. Ils vont sans doute rouler toute la nuit en se relayant. Tant mieux, qu’ils m’emmènent le plus loin possible. Coincé entre deux meubles, bercé par le ronronnement du moteur, je m’endors presque paisiblement.