Le fenil

Nouvelle courte extraite du recueil "Souvenirs de la ferme"

Ce recueil de nouvelles se compose de 27 textes courts inspirés de souvenirs d’enfance à la ferme.

Le fenil est une vraie cathédrale, des montagnes de foin s’entassent sous les poutres monumentales de la charpente. Des rayons de soleil filtrent à travers les planches délavées et se perdent dans les poussières en suspension. En hiver, il y fait plus chaud qu’ailleurs, le fourrage crée une ambiance douce et la chaleur qui monte des étables réchauffe l’air, on s’y sent bien.

Trois entrées permettent d’accéder aux tas d’or végétal, il y a bien sûr l’échelle en bois qui se trouve au début de l’allée centrale des écuries, mais il en existe deux autres, empruntées par nous seuls et praticables seulement quand le niveau du foin a commencé à baisser. Tout d’abord, on passe tout simplement par la large ouverture destinée aux va-et-vient de la griffe, il suffit de grimper sur le mur de la grange et de se rétablir sur une poutre. Le deuxième passage est situé derrière le bâtiment, on escalade un tas de bois et on se glisse dans une fente entre deux planches. Ce dernier est le plus amusant, de plus il permet de monter discrètement, en évitant de s’exposer dans la cour ou sur le chemin.

Le fenil est un de nos meilleurs terrains de jeu. Personne ne vient nous embêter et pas besoin de ranger ensuite. On peut jouer à cache-cache et échapper aux corvées en faisant les morts. Dans le fond, là où personne ne va, on s’aménage des tunnels secrets et des trous garnis de BD. On peut sauter depuis les poutres, rebondir, se rouler dans le foin et faire des glissades. Là-haut, on se prend pour Tarzan ou Robin des Bois, des aventuriers sans peurs et sans attaches. De manière faussement fortuite, on en profite aussi pour se livrer à divers attouchements corporels pas désagréables. Le fenil est un peu comme une piscine ou un tas de neige géant qu’on peut remodeler à notre guise. C’est notre château, notre cabane fantastique, quand on court sur le foin tassé et élastique, on a l’impression de voler avec des bottes de sept lieux. Au-dessus de nos têtes, la griffe est immobile, ses dents sont refermées, en attente. C’est une araignée qui garde son nid ou une cage suspendue pour enfermer sorcières et hérétiques en attente de bûcher.

Le fenil est notre refuge, quand le vent glacial du nord souffle entre les planches disjointes, on se serre les uns contre les autres sous une grosse couverture de foin. Evidemment, on a des brins partout, ça pique un peu et nos mères râlent quand elles voient nos vêtements, mais on y retourne quand même, le fenil permet de passer l’hiver, d’attendre le moment où on pourra courir au soleil dans l’herbe des champs, entre les bouses et les orties.

Le recueil de nouvelles "Souvenirs de la ferme"

10 mai 2005 - Màj Janvier 2010
 
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David.Myriam : : Artiste : Exposition de créations engagées : nouvelles, poèmes, dessins noir et blanc, films d'animation, dessin sur sable, BD...
David MyriamAdresse auteure :: https://art-engage.net
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