Les poussins

Nouvelle courte extraite du recueil "Souvenirs de la ferme"

Ce recueil de nouvelles se compose de 27 textes courts inspirés de souvenirs d’enfance à la ferme.

J’adore aller ramasser les œufs au fond du poulailler. Je me saisis avec délicatesse des petits trésors encore chauds qui trônent au fond des nids. Au début, je me faisais avoir et je rapportais aussi les leurres en plâtre que je confondais avec les œufs de canes, ce qui faisait bien rire ma grand-mère.
La plupart des poules sont bien élevées et vont pondre dans les casiers prévus à cet effet, mais d’autres jouent les originales et laissent leurs œuvres ovales un peu partout. Pour éviter qu’elles ne se perdent, il faut fouiller dans les cagettes qui traînent, les piles de sacs et le tas de bois à côté du grenier à grain. Il est même arrivé qu’on en trouve sur le fenil. Parfois, on tombe dessus longtemps après, on les découvre alors écrasées et à moitié pourries entre deux tonneaux à cidre ou coincées dans des vieux seaux.
Pour m’aider dans ma quête, je me précipite dans la cour dès que j’entends une poule déclamer son chant de ponte, ainsi je peux espérer trouver où elle a laissé son œuf avant qu’elle ne s’éloigne rejoindre le troupeau.

Du temps où la ferme comptait encore des oies, il m’est arrivé de dégotter de ces énormes œufs blancs dont un seul donne une omelette. Dans les œufs, rien ne se perd, une fois utilisés dans les gâteaux ou les quiches, leurs coquilles sont dispersées dans la cour, les poules sont contentes de trouver du calcaire et la boucle est bouclée.

Contrairement aux canards, les poussins sont achetés tout faits, on ne laisse pas les poules de la ferme élever leur progéniture. Ils viennent du marché entassés dans des cartons pleins de trous. Au début, on les range dans une cage à lapin, avec une lampe pour remplacer la chaleur maternelle. Ils se tiennent serrés en tremblant sur leurs petites pattes. C’est à ce stade que je préfère les poules et les coqs, quand ils sont enveloppés d’un duvet jaune et qu’on peut les prendre dans la main. Les coqs adultes n’en parlons pas, toujours à lancer leurs cris stridents à la moindre occasion et prêts à vous courir après dès que vous avez le dos tourné pour vous becqueter les talons. Mais pour l’instant, ce sont de mignons petits poussins qui se gavent de granulés spéciaux. Ils grandissent en quelques semaines, les mâles sont engraissés à point et la plupart seront tués rapidement pour être distribués à l’entourage. Les femelles sont vouées à être des pondeuses pour remplacer les fainéantes et les vieilles qui finiront débitées à la cuisine.
Contrairement aux vaches, les poules n’ont pas de noms, peut-être parce qu’elles ne vivent pas très longtemps et que chaque nouvelle vague noie la précédente dans un bouillon indifférencié ? Ou alors parce qu’on n’a pas vraiment de contacts physiques avec elles ? Parce qu’elles sont bêtes et se déplacent en groupe ? Allez savoir…

Les poules passent leur vie à manger, à gratter le sol d’un bout à l’autre de la cour et tout autour du tas de fumier, parfois elles se disputent et coursent une congénère pour lui piquer le cul et lui arracher quelques plumes, mais sinon elles ne connaissent rien d’autre que le poulailler et les arrivages d’épluchures ou de maïs.

Dans leurs cages aveugles, les petits poussins ne se soucient pas de leur avenir, ils se blottissent autour de la lampe en piaillant. Avec leur robe jaune et leur air innocent, ils se ressemblent tous, ils ne savent pas que la lame du couteau les attend à la cave pour tacher leur plumage et vider leur sang.

Le recueil de nouvelles "Souvenirs de la ferme"

> Thèmes :  Animaux - Humour noir
8 mai 2005 - Màj Janvier 2010
 
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David.Myriam : : Artiste : Exposition de créations engagées : nouvelles, poèmes, dessins noir et blanc, films d'animation, dessin sur sable, BD...
David MyriamAdresse auteure :: https://art-engage.net
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