Dès le départ, des moyens très importants ont été octroyés à ce projet considérable car aucun droit à l’échec n’était permis, il fallait réussir à tout prix ce challenge pour le moins phénoménal.
Pour constituer une équipe de pointe, les meilleurs chercheurs ont été débauchés du secteur public de plusieurs pays en leur faisant miroiter des primes substantielles en cas de victoire.
Leur laboratoire ultramoderne a été équipé sans sourciller de tout le matériel nécessaire et sécurisé avec puces électroniques implantées pour tout le monde. Les appareils d’analyse dernier cri chuintaient dans le silence monacal des salles blanches climatisées, à peine troublé par le va-et-vient des chercheurs et laborantines qui répétaient inlassablement les mêmes gestes pour valider ou infirmer leurs nouvelles hypothèses.
Les manipulations génétiques et fécondations in vitro s’additionnaient aux croisements traditionnels à un rythme soutenu. Une bonne centaine de personnes besognaient sans relâche pour inventer l’herbe rare, tandis que des centaines d’autres trifouillaient les tréfonds de la planète pour faire venir sans cesse de nouveaux échantillons.
Après six ans de recherches acharnées ponctuées de nombreuses expérimentations décevantes, le succès vint enfin au rendez-vous, brillant et lumineux comme un orgasme par un beau jour d’été. La découverte répondait parfaitement au cahier des charges exigé par les richissimes commanditaires, ils étaient comblés et les chercheurs ravis.
Après la pluie de brevets indispensables pour protéger leur œuvre, les travaux pour créer le premier site ont commencé dare-dare. Deux ans de dur labeur dans une chaleur de plomb fondu, en s’échinant jour et nuit, furent nécessaires aux milliers d’ouvriers indiens et pakistanais pour adapter la découverte à une application à grande échelle et créer les infrastructures monumentales qui vont avec, sans oublier une imposante usine de dessalinisation d’eau de mer. Il fallait bien des constructions pharaoniques pour accompagner et mettre en valeur une invention si extraordinaire. Des pelleteuses grosses comme des immeubles et le guidage laser par satellite furent employés pour accélérer les choses. Il s’agissait à présent de hâter le retour sur investissement avant que les banques ne s’impatientent.
L’inauguration officielle eut lieu avec faste dans le bâtiment principal, la salle d’apparat cernée de marbres et de dorures ellyptiques fut mise sur son 31. Trois mille personnes triées selon la grosseur de leur compte en banque et de leur influence assistèrent à un somptueux dîner-spectacle digne des superproductions bolywoodiennes. Des centaines de serveuses philippines déposaient des plats raffinés dans une ronde incessante et plusieurs artistes venus du bout du monde, et même de France !, se succédèrent sur scène pour faire leur numéro entre l’apéritif, le dessert, et quelques vibrants discours dispensés par de charmantes jeunes filles voilées d’or sur l’originalité radicale de cette invention miraculeuse qui bouleversera définitivement leur monde.
En fin de soirée, avant le clubbing et la prostitution feutrée, les organisateurs se payèrent même le luxe de faire une collecte caritative d’envergure au profit des pauvres africains. Les dons serviront à leur acheter des pioches pour creuser les puits indispensables à l’abreuvage de leurs bétails rachitiques.
Le lendemain, trois heures après leur mise en vente, l’ensemble des appartements et résidences disponibles étaient vendus, pour des montants non communiqués. Même ceux des immeubles encore en construction étaient partis comme des petits pains soldés. Les VIP savaient qu’il leur fallait à tout prix une adresse dans ce lieu mirifique qui deviendra forcément un must mondial.
Le jour J, les premiers élus purent enfin fouler le gazon béni de leurs chaussures à bulles sous l’œil avide des caméras du monde entier et un soleil ardent.
En levant pour la première fois leur canne au ciel, ils ne purent retenir une petite larme en songeant à une telle magnifique démonstration du génie humain, à moins qu’il ne s’agisse d’une goutte de sueur. Ils étaient fortement émoustillés à l’idée de jouir personnellement du premier gazon de golf capable de résister à des températures de 50°C et plus, sans nécessiter trop d’arrosage, sans besoin d’être tondu et en restant toujours vert.
Une invention géniale promise bien entendu à un avenir radieux, dont la magnificence ne peut échapper à personne, surtout pas aux milliards de gueux qui crevouillent sans eau potable.