Du pain et des jeux
et le peuple sera content,
il suivra aveuglément
les lois des saigneurs dieux.
Le peuple est-il content ?
Assurément,
il ne montre pas ses dents,
il aurait honte,
elles sont pourries.
Du pain il en a partout,
sous toutes ses formes,
pour tous les goûts.
Souvent même, il n’est plus à ses goûts
et il faut en faire des cendres
qui rempliront les déserts
au lieu de les nourrir.
Mais le pain n’est plus ce qu’il était,
il est souillé à chaque fournée.
Recouvert de mensonges et de poisons,
il s’insinue dans tous les trous
et n’assure plus ses fonctions.
L’affluence le rend fou,
il avale tout
sans regarder,
sans rien demander.
Sa distribution par les uniformes,
sa distribution uniforme
lui assure les mêmes formes,
les mêmes normes
qui l’empêchent d’évoluer,
les mêmes vides
d’esprit, de coeur,
les mêmes folies sans avenir,
les mêmes peurs,
sans plus rien dire.
Qui peut crier
la bouche pleine,
les yeux saturés
et les oreilles éclatées ?
L’absence de pains véritables
ne laisse plus la place
aux échanges de vues,
aux étranges cohues.
Mais les jeux sont faits
pour nous en remettre plein...
Les jeux, quels sont-ils ?
Des substituts subtils
à la pensée.
Ils sont présents partout
pour ne pas nous laisser le temps
de nous oublier.
Ils nous entraînent à gagner,
nous incitent à posséder,
nous amènent à jouer...
toute notre vie.
Les images et les sons
bouchent tout,
remplaçent le cerveau
par une bouilli de mots.
Le peuple sait quoi faire
dans ce brouillard opaque,
les néons des jeux
savent le distraire :
images vernies,
rythmes entraînants,
parfums troublants,
plages de folies,
clapiers alléchants,
tous excitants.
Ses sens sont comblés
et le goût amer du pain
par les jeux est masqué.
Son cycle entier est un jeux,
un jeux mortel,
où, gavé de pains et de bruits,
il s’autodétruit avec ennui.
Du pain et des jeux
et le peuple est content.
Le pain est mort
et les jeux sont truqués
mais personne n’est inquiété.
Figé face aux télés
le peuple attend
le prochain ravitaillement.
S’il n’est pas détruit,
alors peut-être, trop gavées,
les marionnettes sans fils
du jeux de la vie
en auront assez
de ne plus respirer
et s’offriront un pain nouveau.
Elles jetteront les vieux trognons séchés
dans les cages,
où ils peuvent encore jouer
avec leurs images de mirages...
sans dommages.
Novembre 1988