Juin 2007
Màj Septembre 2007
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Nettoyage de printemps

Nouvelle noire et satirique sur la fin de l'humanité, une histoire courte ironique et apocalyptique

L’hiver allait à son terme, les agriculteurs guettaient les premières pousses, les amoureux et les prostituées se préparaient à une nouvelle montée de sève.
Pourtant, cette année là, contrairement à une habitude qui semblait aller de soi, le printemps n’est pas venu...

Tout semblait se passer comme prévu, les torrents gonflaient de l’eau des derniers glaciers, les oiseaux encore migrateurs entamaient leur valse, les huissiers allaient pouvoir exécuter les expulsions empêchées par l’hiver et les travailleurs immigrés étaient sur les starting-blocks pour cueillir à quatre pattes les premières fraises.
Mais..., mais la végétation nouvelle tardait à apparaître, les champs restaient obstinément jaunasses et les bulbes refusaient de sortir de terre. Les semis, malgré des conditions d’hygrométrie et de chaleur parfaites ne donnaient absolument plus rien, que ce soit hors sol ou dans la terre sous engrais. Même les vulgaires œillets d’Inde ou autres plantes qui germent habituellement sans problème ne pointaient pas leur nez. Toutes les plantes refusaient de sortir de leurs coquilles, peut-être que l’air leur était devenu irrespirable, overdose de CO2 ?

Au début, personne ne s’est trop inquiété, chacun dans son coin pensait au manque de chance, à un lot de graines périmées ou à une mauvaise conjonction lunaire. Mais très vite les informations se sont croisées, on s’est aperçu que le phénomène touchait toute la planète et toutes les catégories de plantes,et là on a commencé à se faire du souci.
Les médias se sont mis sur le coup en masse et les scientifiques se sont dépêchés sur le terrain avec les agriculteurs pour essayer d’extraire du sol et de la dissection des graines quelques parcelles de savoir.
Evidemment, les télés ont fait dans le sensationnel et le catastrophisme, ce qui pour une fois convenait à la situation, en ne délivrant qu’une information superficielle et répétitive. Tandis que les hommes et femmes de science et de terrain conjuguaient leur incapacité à trouver la moindre explication rationnelle à ce phénomène pour le moins inquiétant.
Que ce soit à la lumière du microscope électronique ou dans les filets des analyses biochimiques les plus fines, les graines étudiées semblaient avoir gardé intact leur potentiel germinatif. Pourtant, mystérieusement, aucune ne germait, quel que soit le milieu dans lequel on les plaçait, ce qui excluait une influence d’éléments perturbants qui auraient pu se trouver dans l’environnement.
Par ailleurs, aucune radiation spéciale venue de l’espace n’avait été détectée, et la pollution nucléaire était restée à son niveau habituel, aucun nouveau Tchernobyl n’ayant pour l’heure explosé à la face du monde.
Comparés à des analyses antérieures, même les gènes étaient en bon ordre, des mutations en chaîne d’origine inconnue étaient donc exclues.
Tout était en place pour que les graines marchent comme avant, mais elles ne marchaient plus, comme si un ressort invisible s’était cassé.

Cette affaire spectaculaire, contrairement à beaucoup d’autres plus discrètes, ne pouvait pas être cachée à la pourtant brave opinion publique, d’autant que des foultitudes de jardiniers amateurs, qu’ils soient bios ou adeptes du tout chimique, pouvaient faire les mêmes constatations extravagantes dans leurs potagers cernés de grillages et thuyas.
Les autorités furent donc obligées de reconnaître rapidement les faits, et d’avouer qu’elles n’en connaissaient pour l’heure ni la cause ni le remède.
Le bon peuple, habitué à ce que les politiciens, technocrates, journalistes vedettes et autres PDG trouvent des solutions modernes à tous les maux qu’ils créaient, fut tout désorienté. Et les stars du ballon ou de la chanson pouvaient encore moins faire avancer le Schmilblick que d’habitude. Alors quoi, les graines ne veulent pas germer, on n’a qu’à les mettre en garde à vue ou en fabriquer d’autres, non mais alors ! Avec les OGM et les nanotechnologies, on n’a plus besoin de graines d’abord !
Après quelques explications sur la nécessité incontournable des graines dans les processus vitaux, il a fallu aussi expliquer aux plus cultivés par les jeux télés que les aliments humains provenaient, d’une manière ou d’une autre, de végétaux issus eux-mêmes de la germination des graines en question. Eh oui, les quartiers de bœuf et les poulets sans os ne fleurissent pas tout seuls dans les étalages des hypermarchés ! Certains jeunes se mirent à regarder d’un autre œil leur hamburger quotidien.
Ensuite, les magasins alimentaires ont commencé à être pris d’assaut par des foules inquiètes bien que pas encore affamées. Il a fallu très vite déployer l’armée, même devant les épiceries de quartier, et instaurer les tickets de rationnement. Les anciens survivants non-Alzheimer revoyaient avec nostalgie les temps glorieux de leur jeunesse de la 2ème guerre mondiale.

Dans les pays riches, les réserves de nourriture étaient importantes, et on pouvait encore puiser dans les mythiques stocks de la CEE, mais dans les pays pauvres, la famine connaissait déjà une croissance de sa courbe. D’autant qu’il n’était plus question pour les commerçants du Nord, toujours bien avisés, d’écouler les denrées périmées ou/et de mauvaise qualité vers les pays du Tiers monde, il devenait beaucoup plus rentable de les vendre sur place.
Partout, les prix grimpaient en flèche et les Etats durent, la mort dans l’âme, réguler autoritairement le marché libéral pour empêcher une inflation explosive qui aurait pris pour cible les taux d’intérêts.

Malgré tout, le train-train suivait son cours, à part les professionnels du secteur, les gens avaient bien d’autres soucis que ces fichues graines qui finiraient bien par se remettre en route avant les départs en vacance de l’été.
C’est tout juste si quelques voix minoritaires tentaient de s’élever par-dessus la chape médiatique aux ordres pour clamer que les autorités cachaient forcément des choses, qu’une pollution grave ou un gène erratique sorti d’un laboratoire secret avait dénaturé un composant essentiel de la chaîne alimentaire.

La panique commença à s’installer quand on s’est aperçu d’un autre phénomène incroyable : la croissance de tous les végétaux s’arrêtait petit à petit ! Alors là, la soupe qui composait la plupart des esprits entra en ébullition.
Les téléspectateurs binaires faisaient exploser les standards des TV1 du monde entier et les numéros verts des cellules de soutiens psychologiques s’engorgeaient de cris d’alarmes impuissants.
Les gauchistes primaires dénonçaient un nouveau complot mondial visant à asservir les masses populaires aux multinationales et à leur vendre au prix fort les denrées provenant directement des usines capitalistes. Dans leur fièvre militante, ils avaient simplement oublié qu’on ne savait pas encore fabriquer la ratatouille à partir du pétrole.
Les religions minoritaires ou majoritaires n’étaient pas en reste et virent dans cette « maladie » des végétaux le juste châtiment de Dieu pour avertir violemment les humains de toutes les turpitudes sexuelles qu’elles dénoncent depuis des années.
Peut-être que Dieu avait en effet donné un grand coup de klaxon aux consciences en coma dépassé ? A moins que ce ne soit la Terre elle-même qui ait décidé des mesures coercitives désespérées pour assurer sa propre survie ?
Toujours est-il que ni les prières redoublées, ni les manifestations antimondialistes incantatoires ne semblaient avoir aucune influence positive sur les plantes. Les graines, même en orbite, refusaient de germer, et les végétaux, en commençant par ceux à courte durée de vie, continuaient de dépérir. Des feuilles d’arbres jaunies avant l’heure tombaient lamentablement sur le sol, et les plants de légumes qui avaient eu la chance d’éclore avant le déclenchement de ce que l’on nommait désormais l’A.V. (Anti-Végétation) se desséchaient avant d’avoir pu porter de véritables fruits.

La malnutrition dans les pays pauvres faisait un bond en avant, d’autant qu’il n’était plus question d’aide humanitaire vu que les vivres commençaient aussi à manquer sérieusement dans les pays riches. Les Occidentaux avaient plus que jamais d’autres préoccupations que les famines du Tiers Monde, et puis chacun sait que les plus pauvres ont l’habitude de souffrir plus que les autres, il n’y avait pas lieu de s’alarmer outre mesure.
Des entreprises rapaces achetaient même toute la nourriture qu’elles pouvaient dans les pays pauvres en profitant de la relative ignorance qui sévissait encore là-bas et en noyant les hésitations sous des pluies de dollars. Ainsi, des tas de petits paysans crevaient de faim en regardant les images satellite haute définition sur des écrans plasma géants dans leur appartement climatisé flambant neuf.

L’armée ne pouvait plus être partout pour contenir des foules terrorisées qui commençaient à manquer de pain et de coka. Elle se repliait sur les quartiers riches et les centres vitaux pour le commerce. Le reste des territoires était livré aux pillages et aux bandes non organisées.
Dès qu’un entrepôt ou une habitation étaient soupçonnés de contenir des stocks d’aliments, ils étaient attaqués et les gens opposant résistance massacrés.
Le marché noir fit florès, les légumes congelés atteignaient des prix astronomiques car il n’y avait bientôt plus de produits frais. Les entrepôts frigorifiques qui conservaient les fruits pas mûrs se vidaient les uns après les autres. Les denrées alimentaires devenaient de fait la nouvelle monnaie d’échange, car personne ne pouvait indéfiniment se nourrir de lingots d’or ou de mobiles 4G de dernière génération.
Même les pâtes du pauvre devenaient inabordables. Les pharmacies étaient attaquées pour des boîtes de vitamines ou des compléments alimentaires d’ordinaire destinés à faire maigrir, et les aliments pour bétail devenaient un produit de luxe pour les classes inférieures.
D’ailleurs, les animaux de consommation furent tous abattus et l’élevage cessa enfin. On ne pouvait plus se permettre de nourrir des bêtes, beaucoup d’animaux de compagnie finirent sur les assiettes. Les boîtes pour chiens devenaient un mets de choix dans les banlieues, tandis que les riches engagaient des mercenaires pour leur rapporter de la nourriture. Les animaux sauvages étaient traqués pour leur chair au fin fond des jungles et des forêts lors d’expéditions coloniales d’un nouveau genre.

Bref, comme toujours en temps de crise, sans les temporisations du marché ni la dictature des Etats, le chacun pour soi et l’inhumanité étalaient leur violence dans les grandes largeurs. Sauf que ce coup ci, la crise était grave et, personne n’ayant pu apporter la preuve que les USA ou des terroristes quelconques avaient déréglé la planète, il n’y avait pas d’ennemis identifiés à se mettre sous la dent. Les peuples et leurs gouvernants n’avaient donc aucun monstre ou mouton noir pour focaliser leurs haines et angoisses. Il eut été ridicule de s’en prendre à Dieu ou à d’hypothétiques extra-terrestres malfaisants, alors on se défoulait sur les catégories habituelles : mendiants, homos, sectes supposées, étrangers, filles, nomades, violeurs... Ca n’allait pas faire repousser les plantes, mais ça faisait toujours plaisir, et accessoirement quelques bouches en moins à nourrir, disaient les plus cyniques.

Après quelques mois de vaches maigres, le désordre était total, des bêtes sauvages venaient expirer en ville entre les voitures en furie, les lions affamés prenaient tout humain pour proie, et plus grave, la croissance devenait négative car de moins en moins de gens voulaient travailler contre des chiffons de papier et une vague promesse de boîte de conserve périmée.

Les supermarchés étaient à sec et les gérants regrettaient de n’avoir pas eu plus de réserves à cause de la pratique du flux tendu. Les derniers végétaux se desséchaient et tombaient en miettes, la Terre ressemblait à ces villes hors sol poussées trop vite, faites de béton, d’acier et de voitures en plastique, mais en plus délabrée car les humains se laissaient aller, les oiseaux n’existaient plus et les gazons et platebandes ornementaux des bords d’autoroutes s’étaient transformés en poussières polluées. Même les sorties mondiales de la dernière version de Windows et de Harry Potter avaient dû être reportées aux calendes grecques. Les magasins de vêtements synthétiques n’avaient plus le goût des soldes et les investisseurs envisageaient de placer leurs capitaux spéculatifs sur une autre planète.

Chacun cherchait désespérément une solution pour tenter de remplacer une ressource que l’on croyait inépuisable, tombant directement du ciel dans les caddies. Mais les aliments de synthèse ne pouvaient pallier la pénurie de produits vivants, alors les drogues chimiques faisaient un tabac en apaisant les esprits à défaut de calmer la faim. Je ne sais pas si ça contribua à l’hystérie générale, mais les choses allaient de mal en pis, même dans les pays dits civilisés. Les émeutes incontrôlables se multipliaient et des cas de cannibalisme meurtriers apparaissaient une fois les derniers morts déterrés et passés à la broche. Le pillage était la règle, il n’y avait plus ni Etat ni patrie, ni famille, ni même de riches ou de pauvres, juste des hordes d’affamés prêt à tout pour soulager leurs ventres gonflés.
Je vous passe les détails pour le reste, reportez-vous à l’histoire non-hagiographique des humains pour avoir une petite idée de leurs capacités barbares. Ajoutons simplement qu’ils ont reproduit toutes les horreurs qu’ils ont commises durant des millénaires dans une sorte de récapitulation sanglante accélérée.
Les caméras de surveilance et les fichiers génétiques ne pouvaient rien n’y faire, presque tout le monde s’était mué en criminel, retrouvant ses racines sous le fin vernis.

Pendant un temps, on a pu s’accrocher encore aux ressources des immenses océans, et la soupe au poisson tint lieu d’ordinaire, mais le phytoplancton s’était lui aussi mis en grève et de fil en aiguille la chaîne alimentaire stoppa. Les cadavres sous-marins remontaient à la surface par millions la gueule ouverte. Soleil aidant, mers et océans dégageaient une puanteur abominable, les habitants côtiers durent porter des masques ou fuir à l’intérieur des terres.

Les maisons sur-climatisées ne protégeaient plus de rien, les télés crachaient la mort à plein tube et les gadgets électroniques ne nourrissaient plus personne.
Certains allumés se mirent à brûler les billets de banque et les cartes de crédit, mais ce ne fut d’aucun effet. Trop tard pour la révolte ?

Les poissons morts ne pouvaient durer éternellement, et après quelques années de ce régime sous A.V., les humains furent rayés de la carte, et avec eux la quasi-totalité des animaux.
Toutes les cheminées s’étaient arrêtées et les usines grinçaient dans le silence. Un monde minéral semblait avoir figé la planète pour l’éternité. Jadis bleue et verte, grouillante de vie, elle se transformait en poussières grises. C’est tout juste si on voyait traîner encore quelques rats ou scorpions étiques entre les ruines, et les seuls oiseaux restant étaient des charognards qui faisaient sans fin leur ronde à la recherche des derniers cadavres.

 Ville en fumées {PNG}

Pourtant, quelques temps plus tard, des graines se sont mises inexplicablement à germer de nouveau. En quelques années, de larges taches de végétation luxuriante se sont développées un peu partout et les océans sont redevenus vivants.

C’est à ce moment-là que nous avons débarqué. Nous avions dû fuir en catastrophe notre planète à cause de l’explosion imminente de notre soleil, et après des années d’errance dans la froideur de l’espace, nous avons repéré un jour ce monde habitable. Notre immense joie a été encore renforcée quand nous avons découvert sa beauté et sa richesse.
Nous avons eu ensuite la surprise de découvrir l’histoire de ses ex-habitants humains. Cette triste aventure nous a bouleversés, mais en même temps on ne pouvait qu’être soulagé d’arriver après l’extinction de cette espèce qui a causé tant de misères à ses membres ainsi qu’à toute la planète et à ses autres passagers. Vu leurs mœurs, mieux valait ne pas les connaître de trop près ! La nature fait bien les choses !

En déblayant les ruines hideuses qui restaient de leur prétendue civilisation, nous sommes tombés un jour sur des embryons humains congelés qui semblaient tout à fait viables. Nous avons longuement débattu de l’opportunité de tenter de faire revivre l’humanité, mais nous avons finalement décidé de les détruire par sûreté. Au vu de leurs « exploits » passés, nous n’étions pas du tout sûrs de pouvoir en faire des êtres fréquentables, même avec la meilleure éducation possible. Nous ne voulions pas courir le risque qu’ils se remettent à vouloir détruire la planète ou à nous réduire en esclavage comme les pauvres animaux ou les « sauvages » d’antan.

Ainsi, l’espèce humaine peut à présent être considérée comme éteinte. Nous allons pouvoir nous épanouir ici en toute sérénité, en harmonie avec un monde qui mérite bien de l’amour et de la considération à présent.
Depuis, le printemps n’a jamais fait défaut et les plantes renaissent toujours plus éclatantes.

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Artiste.Auteur.Réalisateur
Courts métrages d'animation, dessin noir & blanc, dessin sur sable, peinture, BD, écrits...
David Myriam, Artiste, art-engage.net