Une nouvelle satirique et critique sur le conformisme des jeunes veaux, le vide de la jeunesse festive qui s’éclate 24H/24
La pelouse les attend au ras des pâquerettes. Elle contracte ses racines et rétracte ses feuilles pour supporter l’invasion barbare. Les troupeaux compacts se déposent en masse avec leurs sacs et leur air las. A la tombée de la nuit, ils s’accroupissent là pour paître en cercle et accomplir leurs rituels.
Ils s’épient et s’observent avec leur air de rien en mâchant leur sandwich et leur bière. Ils évaluent méthodiquement leur tour de taille et les contours de leurs fringues. La chair molle se déballe méticuleusement pour les regards qui jaugent les bourrelets et les bronzages à point. Laquelle est bonne, lequel fera l’affaire ?! Jouir un maximum de leur pack et de certains replis de peau est leur seul univers, celui du bonheur obligatoire.
Les clans s’assemblent et se ressemblent dans le ballet réglé des séductions contrôlées. Regards aiguisés derrière les lunettes noires, prêts à torturer les morts pour obtenir leur pitance, à vider leur corps pour en extraire un peu de sang frais.
La soirée s’étire dans le silence de leur absence au monde, le brouhaha et les sons de la scène ont pris depuis longtemps le dessus. Ils semblent heureux, cachés sous la nappe sonore du pique-nique vibratoire. Leurs corps souples et propres reproduisent toutes les positions vues ailleurs. L’alcool délie les langues nouées par la peur et noie les cerveaux dans une insignifiante brume collective, ils finissent par rire aux éclats. L’herbe plus grasse qu’eux amortit le choc quand ils se roulent en terre.
La nuit se file, ils dansent immobiles les uns à côté des autres, leurs mains se faufilent vers un sexe à pincer ou un joint à fumer. Des couples s’enfilent et s’étranglent pour voir l’amour dans leurs yeux clos. Immobiles, ils défilent en rythmes à la mode, leurs corps ondulent sous leurs vêtements longuement étudiés.
Attitudes stéréoscopiques répétées sous euphorie chimique, la transe est leur seul transport. Jouer, s’amuser jusqu’à plus soif, s’éclater dans sa bulle font toute leur politique.
Après la marée haute de leur hystérie collective, la tension retombe et le froid les cueille, les mollusques rentrent dans leur carapace étanche sous une pluie de basses.
Le lendemain, il n’en reste plus rien, des taches d’herbe écrasée et un champ d’ordures, canettes et sacs, capotes et clopes grillées étalées, éparpillées sont le seul désordre de la soirée.
Se sont bien défoulés, bien amusés, le monde peut continuer à crever, leurs bulles sont de béton et leurs têtes armées, prêtes à tirer leur coup. Ils sont fiers et tranquilles, ils n’ont peur de rien, l’avenir leur appartient, leurs prédécesseurs l’ont payé assez cher, à eux de prendre l’ascenseur sans retour.
Le lendemain, il ne reste plus rien, des tas de cendres invisibles qui nourriront la bonne herbe, le foin du prochain bétail qui gigote encore dans son abattoir.
Ils sont fin prêts, bien gras, le cerveau stimulé électroniquement et sans même un fil pour se pendre.
Ils sont recuits, grillés à point, la griffe n’a plus qu’à les cueillir dans leur parc électronique pour alimenter la roulette dont ils veulent se divertir.
Au matin, ils ont disparu vers leurs tombes à creuser, quand la mort viendra les faucher, elle n’aura plus qu’à souffler sur leur cadavre sec et froid.
L’herbe fume sous le soleil avec des vapeurs d’alcool et de pisse, la bise disperse les ordures pour former de nouvelles constellations. Les éboueurs viendront bientôt emporter les dernières traces, il faut faire place nette pour les suivants.