Juillet 2004
Màj Avril 2005
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Le soir où j’ai tué toute ma famille

Nouvelle noire sur la rupture familiale, une fiction sur la violence libératrice

La nuit avance, pas moi, je me tourne et me retourne entre mes draps, impossible de m’endormir. J’ai l’impression d’être pris dans un étau, étouffé entre les mâchoires d’un monstre invisible. Tout mon entourage épie le moindre de mes gestes et exerce une sorte d’oppression insaisissable et permanente. Il ne me reste que la nuit pour échapper à leur contrôle. Je ne le supporte plus, je veux sortir de la toile avant d’être complètement englué, momifié avant l’âge. Et puis à quoi bon leurs cycles de répétition, cet ennui et ce vide qui transpirent de leurs vies et qui se transforment en haine de soi et des autres ?
Les yeux grands ouverts dans la pénombre, la solution libératrice, lumineuse, m’apparaît soudain, comme une évidence cachée qu’il suffisait de rechercher.

Alors, comme mû par une force intérieure invisible, je rejette brutalement les draps et je me lève d’un coup. La moquette amortit mes pas, inutile de faire du bruit. Pas besoin de lumière, je connais toutes les pièces à traverser et je sais ce que j’ai à faire. C’est comme si cette nuit était programmée, je n’ai plus qu’à accomplir ce qui avait été prévu.
Le silence règne, tout le monde s’est endormi après une journée comme les autres, le moment est propice. A pas feutrés, je commence par fermer toutes les portes en enlevant les clés, je dois éviter qu’ils puissent s’échapper.
Tout est calme, même les photos du bonheur familial conforme qui s’étalent sur les murs ne bronchent pas d’un cil. Seule l’horloge de la cuisine rythme la nuit avec son bruit régulier, ça me rassure.

Sans faire grincer les portes, je descends au sous-sol, là où mon père range son matériel de chasse. Le fusil est bien à sa place, les cartouches sont à côté. Je sais comment il marche, il me l’a montré lui-même quand il espérait encore que je l’accompagne lors des traques d’animaux en forêt. Je prends une boîte de cartouches pour gros gibier, j’en place deux dans les canons. Me voilà prêt.
Curieusement, je ne tremble pas, je n’ai pas peur, je ne pense plus à rien, je déroule simplement les actes appelés par une logique implacable.
Quand je remontre les escaliers, je ne ressens plus rien, à part le poids des cartouches que j’ai glissées dans ma poche.
Les portraits me regardent de travers, je m’en moque, le fusil à la main je rentre résolument dans la chambre de mes parents. Je lève l’arme froide, elle est lourde. Je commence par ma mère pour éviter de l’entendre crier. Je tire un seul coup, en pleine poitrine, son corps sursaute sur le lit. Aussitôt, je tire le deuxième coup à bout portant sur mon père, qui n’a même pas le temps de se réveiller. Ils ne bougeront plus à présent, le sang traverse les draps et couvertures déchiquetés.
Mécaniquement, je retire les deux cartouches vides pour les remplacer par deux autres. J’ai encore du travail.
En haut, mon petit frère et ma sœur se sont réveillés, j’entends ma sœur qui s’inquiète, elle va descendre les escaliers. Pas la peine qu’elle voit ça. Je la guette en bas pour la surprendre avant qu’elle ne pénètre dans le hall.

Heureusement qu’on n’a plus de chien, je crois que je n’aurais pas pu le tuer.

Mon petit frère se met à crier. Elle s’approche, je surgis et l’abat d’un coup. Elle s’effondre sur les dernières marches. Tel une explosion, le bruit résonne dans la cage d’escalier. Elle a son compte. Je l’enjambe pour monter au premier étage, sans faire de bruit, je change la cartouche usagée avant d’arriver en haut.

Les lumières des voisins s’allument, ils ne vont pas tarder à appeler la police.

Mon frère pleure sous son lit, il est resté dans sa chambre. Ca ne va pas être facile pour l’atteindre, surtout que je ne veux pas le rater et le faire souffrir. Après quelques instants de réflexion, je tire un premier coup par terre, près du lit. Comme prévu, il sort effrayé de l’autre côté, le deuxième coup le prend dans le dos et le projette contre son bureau.
Je reste immobile, je n’entends plus que mon souffle, c’est fini. Ca n’a pas été si difficile. Je pose alors doucement le fusil et les cartouches, je n’en ai plus besoin.

Je n’avais pas vraiment pensé à « l’après », je suis un peu interdit, comme en haut du grand plongeoir avant de sauter. Pourtant, je ne compte ni me suicider ni rester là à attendre de me faire arrêter.
J’enfile des vêtements et je jette rapidement quelques affaires avec mes économies dans un sac de sport.
Les chiens du voisinage se sont tous mis à aboyer et à se répondre. Je sors par la porte du rez-de-chaussée sans me retourner, je n’ai plus rien à faire ici. Je vois des ombres derrière les fenêtres allumées, tout le monde m’observe. Je m’enfuis dans la rue, j’espère bien leur échapper.
Je sers mon sac et je rentre la tête dans mon blouson, des lampes éclairent les porches et chassent la nuit dans les derniers recoins.
Les voisins me montrent du doigt, ils savent déjà, ils m’accusent. Les phares de la police m’éblouissent depuis l’autre bout de la rue, je prends à droite en courant. Le quartier est déjà bouclé. Partout, les lampes trouent les ténèbres, des voix s’exclament, des pas me poursuivent. J’entends des sirènes dans les rues d’à côté. Je ne sais plus où aller, ils sont tous là, solidaires pour la traque, ils n’aiment pas que des coups de feu viennent troubler leur sommeil.

Le sang tape dans mes veines et mes pas font un bruit insupportable qui résonne dans tout le quartier. La rue s’étire à l’infini, je cours sans en voir le bout. Impossible de leur échapper, des mains m’attrapent et me plaquent brutalement au sol.

Des coups sourds retentissent dans ma tête, c’est à cet instant que je me réveille, effrayé. Ma mère frappe à la porte de ma chambre : « c’est l’heure de te lever si tu ne veux pas rater le car ».
Il me faut encore quelques secondes pour comprendre la situation. En un éclair, je décide que ce sera ma dernière nuit ici.
Pas de collège aujourd’hui, je remplis mon sac à ras bord de tout ce qui peut m’être utile, à commencer par mon couteau suisse et tout l’argent de ma tirelire. Je suis fébrile mais déterminé.
Ca y est, ils sont partis travailler en emmenant ma sœur et mon frère, la voie est libre.
Je sors sans me retourner, sans regrets, avec joie. La vie commence, et j’emmerde les voisins.

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David Myriam, Artiste, art-engage.net