Octobre 2003
Màj Avril 2005
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De l’autre côté du monde

Texte poétique pour évoquer un autre monde possible

Le train s’écoule doucement sur ses rails. La lumière du soir descend une dernière fois et illumine les feuilles de l’automne. Les couleurs aux multiples facettes miroitent dans l’air pur et le vent.
Je suis en paix, seul et pourtant parmi vous. Une apaisante sensation m’envahit, une impression d’étrangeté, d’être dans un monde irréel. Ou plutôt le sentiment d’être hors du monde et du temps.
Présent et absent, en voyage, comme en apesanteur, spectatrice de la vie qui défile. Les montagnes aussi, perdues dans la brume, semblent flotter entre terre et ciel, comme dans un rêve. Leurs bases sont effacées et se confondent avec le bleu clair d’un azur sans nuages. Seules leurs cimes affleurent encore, parsemées de plaques de neige immaculées.

Le wagon est silencieux, personne ne parle, on entend juste parfois la voix enregistrée du haut-parleur qui nous rappelle quelques instants que nous sommes encore sur Terre et qui essaie de nous ramener dans le brouhaha.
Je suis ailleurs, je suis de passage, je suis détachée de ma vie et pourtant j’y participe de manière active.
Même la foule de la gare que nous traversons et les personnes qui investissent bruyamment la rame ne brisent pas le charme, et renforcent au contraire l’impression de ne plus vivre dans leur monde. Qui sont-ils, que veulent-ils ? Pourquoi est-ce qu’ils marchent d’un point à un autre d’un air souriant ou grave ? Est-ce qu’ils me voient encore ? Pour moi ils s’effacent, ils disparaissent, ou plutôt ils ne font qu’un, ils fusionnent.

Le soleil qui se couche est aveuglant, il illumine les montagnes et se glisse entre les sièges. Il nous cherche. Une incitation de plus au voyage. Il veut nous emporter avec lui.
Les falaises mordorées qui nous entourent semblent m’indiquer la voie, me canaliser dans la même direction.

Brusquement, il faut descendre ! Je dois changer de train et en attendre un autre, l’esprit ailleurs.
Bruit des annonces, discussions sans suites, violence, marteau piqueur, va-et-vient absurde de personnes qui attendent et qui passent.
Les horaires se succèdent au tableau et pourtant l’horloge est arrêtée.
Parfums et odeurs de tabac de mauvaise qualité se mélangent, constituant l’encens frelaté de votre monde. Les sonneries de portable et les néons commerciaux sont vos lumières. Des drapeaux meurtriers flottent sèchement au vent, entre les voitures vides et les panneaux d’interdiction.

Les trains défilent, le mien viendra plus tard, il suffit d’attendre.
Des gens parlent de la mort, c’est leur seul horizon. Des portes mécaniques s’ouvrent et se ferment sans arrêt alors que personne ne passe plus depuis longtemps. Les poubelles sont transparentes, pour qu’on voit bien les ordures, pourtant personne ne les remarque, personne n’est gêné. Tout le monde continue de les remplir. Qui les vide ?
Serré dans sa veste retournée ou mise à l’envers, chacun porte son sac, bien fermement, pas question de le poser, de le lâcher un seul instant pour embrasser son voisin dans un geste de folie pure.
La porte cette fois reste fermée, nous voilà prisonniers, coincés dans cette gare de triage semblable à tant d’autres, avec ses pubs irréelles et ses mêmes gens tristes et inconnus.

Ce monde est la réalité, pourtant il est totalement fou et irréel.
Les ombres qui l’habitent essaient de se rendre voyantes, les enseignes crient leurs mensonges dans tous les coins, pourtant il ne se passe rien.
La porte s’ouvre, se ferme, personne ne sort, moi non plus, je me suis déjà évadée depuis longtemps, et sans paradis artificiels. Quel besoin aurais-je de passer la porte pour me noyer dans la ville et ses mirages ?
Seuls les écrans des distributeurs automatiques s’animent parfois, tout seuls, sans raisons valables.

Tout à l’heure, bientôt, je repartirai, un autre train, une autre gare de passage, d’autres vies temporaires. La même chose à redécouvrir sous d’autres angles, avec les mêmes yeux, toujours plus ouverts.
Peu importe de rester ici ou de partir, c’est partout la même chose, je serai partout la même. Je ne suis plus l’un des vôtres et je pourrai partout vivre ma vie autonome, rien n’y personne ne m’en empêchera, impossible de me rattraper ou de m’enfermer, je n’ai plus de chaînes.

Plus besoin de prendre un train, je suis déjà parti, depuis longtemps. Je ne retournerai plus dans votre monde barbare et vide, absurde et monstrueux. Ce monde que vous avez fabriqué contre vous-mêmes, dont vous vous délectez, qui vous détruit mais que vous ne voulez pas quitter, que vous pervertissez à votre image pour vous y sentir plus à l’aise.

Je suis parmi vous, mais je suis parti, depuis longtemps. J’ai parcouru votre monde en long et en large, mais, tel un nomade intérieur, je n’y ai jamais adhéré, ce n’est pas le mien, ce ne peut être moi qui l’ai fait, il n’est pas pour moi, gardez-le, je vous le laisse avec soulagement. Je ne me retournerai pas, de toute façon je ne vous vois plus, je vous laisse à vos histoires dérisoires, des petits riens insignifiants et mauvais qui pourtant font le sel de vos « vies » immobiles. Tels des épouvantails plantés dans le paysage, vous vous desséchez lentement en faisant fuir tous les oiseaux du ciel.

Je suis encore présent, mais mon esprit est passé de l’autre côté, j’ai perdu volontairement l’équilibre et j’ai basculé dans la lumière, comme le soleil, qui maintenant n’est plus là que pour les sommets.
Si vous êtes attentifs, je vous adresserai quelques signes, par amour, mais je ne reviendrai plus.
Je ne suis plus rien, je suis moi, je suis tout. Je suis de l’autre côté, seul, dans l’autre monde, celui que vous auriez dû construire en vous et autour de vous, celui qu’on aurait pu construire ensemble. Je vous attends, nous avons l’éternité. Le train arrive, il est pour moi, il est aussi pour vous.
On ne voit plus le soleil, mais il est toujours là.

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Artiste.Auteur.Réalisateur
Courts métrages d'animation, dessin noir & blanc, dessin sur sable, peinture, BD, écrits...
David Myriam, Artiste, art-engage.net